La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) vient de publier son rapport annuel pour l’année 2023, dressant un bilan détaillé de son action de régulation et d’observation du paysage médiatique marocain. Ce document intervient dans un contexte marqué par des mutations numériques profondes et une fragilité économique persistante du secteur. Il met en avant plusieurs évolutions notables : une baisse des sanctions disciplinaires, une prédominance de la société civile dans le temps d’antenne (40,57 %), une légère progression de la présence féminine (18,01 %) et un équilibre gouvernement-opposition qui s’améliore (55,25 % contre 44,75 %).
Entre avancées et défis structurels, ce rapport offre un panorama complet des dynamiques transformant l’écosystème audiovisuel national.
Un traitement rigoureux des plaintes sous le signe de la dignité humaine
En 2023, le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle (CSCA) a statué sur 52 plaintes déposées par des tiers. Parmi elles, 14 décisions ont concerné des atteintes à la dignité humaine et des discours discriminatoires, tandis que 6 autres portaient sur l’honnêteté et l’équilibre de l’information.
La tendance baissière des sanctions observée depuis trois ans se confirme, avec seulement deux avertissements prononcés en 2023, contre trois en 2022 et quatre en 2021. Fait marquant, aucune suspension de programme n’a été décidée et un seul communiqué officiel du CSCA a été diffusé.
Pluralisme médiatique : la société civile en tête
L’un des faits les plus frappants du rapport est la répartition du temps de parole dans les programmes d’information. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les acteurs politiques qui dominent le paysage audiovisuel, mais bien les personnalités issues de la société civile.
En effet, les acteurs associatifs représentent 40,57 % du temps d’antenne, devançant les politiques (35,22 %), les professionnels (17,58 %) et les syndicats (6,63 %).
Cette tendance confirme l’ouverture des médias à des voix plus diversifiées, en phase avec les exigences de pluralisme et de représentativité du débat public.
Un agenda médiatique dicté par le rythme des saisons
L’analyse trimestrielle du temps de parole révèle un phénomène cyclique intéressant. Le quatrième trimestre de 2023 a enregistré la durée la plus élevée (31,57 % du total annuel), coïncidant avec la rentrée politique et la présentation du projet de loi de finances. À l’inverse, le troisième trimestre, marqué par la saison estivale, affiche le niveau le plus bas (17,99 %).
Cette fluctuation saisonnière met en évidence la forte corrélation entre l’actualité nationale et la structuration du discours médiatique.
Service public vs privé : des priorités différentes, une même hiérarchie
Le rapport de la HACA met en lumière les différences entre médias publics et privés en termes de répartition du temps d’antenne.
Les chaînes et radios du service public accordent plus de place aux personnalités publiques (678 heures) que les opérateurs privés (509 heures). Toutefois, dans le secteur privé, les acteurs professionnels bénéficient d’une exposition plus importante par rapport aux médias publics, où les acteurs politiques restent majoritaires.
Une autre tendance marquante est la prédominance des magazines d’information, qui concentrent 75,09 % des interventions, contre 24,91 % pour les journaux télévisés et radiophoniques.
Parité gouvernement-opposition : un équilibre en construction
L’accès aux magazines d’information dans le service public semble évoluer vers un meilleur équilibre. En 2023, le gouvernement et la majorité ont occupé 55,25 % du volume horaire annuel, contre 44,75 % pour l’opposition.
Ce ratio, bien qu’encore perfectible, marque un progrès notable par rapport à la représentation politique au Parlement, où la majorité dispose d’une large avance.
La parité hommes-femmes : une progression timide
La question de la représentativité des femmes dans les médias reste un défi majeur. En 2023, la présence féminine dans le temps de parole a progressé légèrement pour atteindre 18,01 %, contre 16,64 % en 2022.
Dans cette répartition, les actrices associatives dominent avec 56,63 % du temps de parole féminin, devant les femmes politiques (30,92 %), professionnelles (9,91 %) et syndicalistes (2,54 %).
Bien que des efforts aient été consentis, ces chiffres montrent que la parité reste encore un objectif lointain.
Un secteur en difficulté face aux défis économiques
Le rapport de la HACA met également en lumière les fragilités économiques du secteur audiovisuel. En 2023, les produits d’exploitation des opérateurs ont chuté de 14,46 %, passant de 2,22 milliards de dirhams en 2022 à 1,89 milliard en 2023.
Malgré cette baisse, les investissements dans la production audiovisuelle nationale ont progressé de 6,19 %, atteignant 829,5 millions de dirhams. Les séries et téléfilms en langue arabe dominent largement, représentant 86 % des productions.
Le numérique, un défi majeur pour l’avenir
La transformation numérique du paysage médiatique marocain s’accélère. Selon le rapport, 88,7 % des ménages sont désormais connectés à Internet, et 43,2 % possèdent une Smart TV.
Si la télévision demeure le principal moyen d’information (67,3 % des Marocains l’utilisent en priorité), les réseaux sociaux gagnent du terrain (25,9 %).
Face à cette montée en puissance des plateformes numériques, la HACA insiste sur la nécessité de différencier les médias professionnels régulés des réseaux sociaux, encore peu encadrés en matière de diffusion d’information.
Un avenir en mutation pour le paysage audiovisuel marocain
Le rapport 2023 de la HACA souligne les évolutions majeures du secteur audiovisuel marocain, entre avancées notables en matière de pluralisme et de régulation, et défis persistants liés à la transformation numérique et à la viabilité économique des opérateurs.
La présidente de la HACA, Latifa Akharbach, conclut en rappelant que « la pérennité et le renforcement de la résilience du paysage médiatique marocain reposent sur la capacité de tous les acteurs à élaborer des réponses adaptées aux enjeux actuels ».
À l’heure où les médias traditionnels doivent composer avec une concurrence accrue des plateformes numériques, la régulation du paysage audiovisuel marocain reste un levier essentiel pour garantir une information de qualité, diversifiée et équilibrée.