La Chambre des représentants a adopté en deuxième lecture, par 84 voix pour et 20 contre, sans aucune abstention, le projet de loi organique n° 97.15 fixant les conditions et modalités d’exercice du droit de grève. Ce texte, qui a fait l’objet d’intenses négociations entre le gouvernement et les syndicats, introduit plusieurs amendements de fond visant à renforcer la protection des travailleurs tout en encadrant l’exercice de la grève.
Une définition élargie du droit de grève
Le texte introduit des modifications substantielles dans la définition de la grève. Désormais, les travailleurs peuvent faire grève non seulement pour défendre leurs intérêts directs mais aussi leurs intérêts indirects, ce qui légalise les grèves de solidarité et les grèves à caractère politique.
Autre avancée majeure : la grève peut désormais être déclenchée pour défendre des intérêts moraux, tels que la dignité des travailleurs et la liberté syndicale, en conformité avec les normes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Cependant, la demande des syndicats d’autoriser des grèves d’une durée illimitée n’a pas été retenue. Le texte maintient la définition de l’OIT qui considère la grève comme une cessation temporaire du travail.
Un droit étendu à toutes les catégories professionnelles
L’un des changements les plus notables concerne l’élargissement du champ d’application du droit de grève. Alors que la version de 2016 limitait ce droit aux salariés du secteur privé et aux fonctionnaires du secteur public, la nouvelle loi inclut désormais :
- Les travailleurs domestiques
- Les travailleurs indépendants
- Les non-salariés
Cette avancée consacre ainsi une reconnaissance plus large des droits syndicaux et collectifs au Maroc.
Des délais de négociation réduits
Le texte apporte des ajustements sur les délais de négociation précédant une grève, qui avaient été jugés trop contraignants par les syndicats. Désormais :
- En cas de conflit dans le secteur privé, le délai de négociation est ramené à 7 jours au lieu de 30, et à 3 jours en cas de danger imminent.
- Pour les grèves visant une augmentation de salaire, un délai de 15 jours renouvelables une fois est instauré.
- Dans le secteur public, ce délai est de 45 jours, pour permettre la concertation entre les différentes instances gouvernementales concernées.
Par ailleurs, le délai de notification préalable à une grève a également été réduit : de 15 jours à 5 jours, sauf pour les grèves nationales où un délai de 7 jours est maintenu.
Protection des travailleurs grévistes
Un volet crucial du projet de loi concerne la protection des travailleurs contre les représailles. L’employeur ne pourra ni empêcher l’exercice du droit de grève, ni licencier ou sanctionner les grévistes. Toute infraction à ces dispositions sera passible d’amendes allant de 20.000 à 200.000 dirhams.
À l’inverse, les sanctions prévues contre les grévistes en infraction ont été revues à la baisse : les amendes sont désormais comprises entre 1.200 et 8.000 dirhams, contre 5.000 à 10.000 dirhams auparavant. De plus, une nouvelle disposition interdit l’application de la contrainte par corps aux grévistes insolvables.
Facilitation des procédures pour l’organisation d’une grève
L’une des revendications des syndicats a été satisfaite avec la simplification des conditions nécessaires pour déclencher une grève. Désormais :
- Les syndicats représentatifs, et non seulement ceux ayant le statut de « plus représentatif », peuvent appeler à la grève.
- En l’absence de syndicat dans une entreprise, le nombre de salariés requis pour décider d’une grève est passé de 75% à 25%.
Si cette nouvelle loi marque un tournant important dans l’encadrement du droit de grève au Maroc, elle ne fait pas l’unanimité. Certains syndicats dénoncent encore des restrictions, notamment en ce qui concerne la limitation de la durée des grèves et l’obligation de respecter des délais de préavis.
Malgré ces critiques, le gouvernement défend un texte équilibré qui vise à protéger à la fois les droits des travailleurs et la continuité des services économiques et publics. Une chose est certaine : cette loi changera profondément le paysage des relations professionnelles au Maroc.